Patrick Donald Stracey (1906-1977) Auteur de 'Elephant Gold'
Un hommage de son plus jeune frère, Eric Stracey
Mon frère Patrick aurait du s'appeler Pierre, car il était un roc dans tous les sens du terme. Il était le deuxième de onze enfants, deux ans plus jeune que ma soeur Doreen et il est né le 30 janvier 1906 dans la ville de Cocanada (aujourd'hui Kakinada) sur la côte Est de l'Inde, alors dans l'Etat de Madras où mon père était officier forestier. Il avait quatorze ans quand je suis arrivé en 1920, moi, le dernier de notre grande famille de onze enfants. Il était déjà un jeune homme quand j'ai commencé à le remarquer pour la première fois. Ma première impression était celle d'une figure robuste de taille moyenne, un teint basané et un visage grave rendu encore plus sévère par la moustache qu'il cultivait dès l'école. Mais son apparence extérieure cachait une grande force de caractère et une forte volonté, démentie par sa nature amicale et grégaire, son rire facile, son grand cœur, son immense intérêt pour tout ce qui l'entourait et sa capacité à vivre pleinement. Deux de mes premiers souvenirs de lui sont de le voir jouant du piano et chantant pour moi "Cherry Lips Sweeter than Sugar or Plum", et de sa parade, vêtu de son uniforme aux shorts kaki, d'une tunique à boutons de cuivre, d'un casque colonial, de bottes et de guêtres.
Il a commencé ses études à Cocanada, mais a été rapidement envoyé comme pensionnaire au lycée européen de St Joseph, à Bangalore (le mot "Européen" a depuis été remplacé par "Boys") à l'âge de neuf ans. Il me semble qu'il ait commencé à jouer au footbal assez tôt et qu'il avait une constitution physique lui permettant d'être immédiatement sélectionné dans une équipe junior, car j'ai une photo de groupe d'école dans laquelle on le voit assis par terre, seul au centre, tenant un ballon de football marqué 1915. C’était un signe des choses à venir car même s’il n’était pas un élève aussi brillant que son frère Ralph, il était un athlète et un sportif hors pair. Il avait des réflexes rapides et un œil naturel pour le ballon, ce qui lui a permis d’exceller à tous les niveaux: cricket, hockey, soccer et, plus tard, tennis et golf. Son seul regret était de ne jamais avoir appris à nager. Je n'étais pas en âge de me souvenir de l'avoir vu gagner ses épreuves d'athlétisme à l'école, mais je me souviens de sa collection de coupes et de médailles qui remplissaient autrefois un placard dans notre salon. Il a fait la malheureuse erreur de les emmener avec lui quand il est allé à Madras, où il les a confiés à un faux ami qui les a dérobés. Aussi, tout ce que je peux me rappeler de ses prouesses, ce sont quelques photos, dans l'une desquelles il apparaît, la poitrine couverte de médailles, assis parmi les lauréats du dernier "Tournoi sportif" de l'école. J'ai aussi une petite coupe qui lui a été décernée quand son équipe, le Club St Joseph, pour lequel il a toujours joué en tant que gardien de but, et où il a dû encaisser de nombreux buts, ce qui annonçait le rôle qu'il devait jouer la plus grande partie de sa vie, car il a dû encaisser plus que sa part de coups durs quand il est devenu chef de famille après la mort de notre père en 1932.
Son début de parcours scolaire ne fut pas remarquable, sauf pour les circonstances spectaculaires de son départ. Au cours de sa dernière année, lui et son meilleur ami et camarade de classe, Nobby Jones, ont imaginé un complot pour attaquer le couvent du Bon Pasteur en face pendant que les filles étaient en train d'étudier. Munis de masques en papier faits à la maison, car il était alors demi-pensionnaire, ils ont escaladé le mur du couvent (depuis lors couronné de tessons de verre) et se sont rendus à l'étude des filles. Ils ont fait éclaté quelques pétards quand ils sont entrés, et dans le chaos qui a suivi, une religieuse a perdu son voile et Nobby son masque! Il a suffi de cela pour que les deux coupables soient identifiés, et le plaidoyer de ma mère auprès du directeur pour que les deux garçons soient autorisés à se présenter à leurs examens fut vain. Seule sa foi catholique valut à Pat d'entrer à l'école St Aloysius à Mangalore, et lui permit de terminer sa dernière année. Là, il passa son examen de lycée (obtenant une troisième place, me dit-il plus tard), avec une note juste suffisante pour passer en classe supérieure. Il a été autorisé à retourner au collège St Joseph's pour passer ses examens, remportant surtout des coupes et médailles sportives, après quoi il est allé au Collège de Madras pour faire des études en géologie. Il a choisi la botanique et la zoologie comme sujets subsidiaires pour remplir son ambition d’entrer dans le service forestier indien. C'était un grade impérial duquel notre père, qui avait commencé au bas de l'échelle du Département, avait été exclu de la promotion à cause de son âge.
C'était un jeune homme normal et en bonne santé qui pouvait tomber naturellement amoureux d'une jolie fille, et il y en avait (et reste encore) beaucoup à Bangalore. Dolly Walker, la fille d’un ancien camarade d’école de ma mère, était en formation en tant qu’infirmière au moment où il terminait son lycée. Il a inclu dans son jogging quotidien un passage au foyer des infirmières de l'hôpital Curzon pour lui rendre visite tous les soirs, mais comme pour ses autres coups de coeur à cette époque, sa courtoisie ne lui valut rien. Avant de se rendre au collège de Madras, il a été diagnostiqué à tort comme ayant des problèmes cardiaques et a donc abandonné tous les sports. C'était une situation qu'il avait dû trouver difficile à accepter, car le sport était son point fort. Il s'est battu avec toute son énergie, en arbitrant des jeux, manageant ses équipes et entraînant ses jeunes collègues.
Il est retourné à Bangalore après avoir obtenu son diplôme avec mention en 1927 et s'est immédiatement mis à étudier pour le concours du Service Forestier, pour lequel il devrait obtenir une très bonne note afin d'être sélectionné, car il n'y avait que quatre postes à pourvoir dans tout le pays cette année-là. Il a étudié de longues heures, parfois dans le jardin, la nuit sous une ampoule attachée à la maison afin d'attirer les insectes qu'il a ajoutés à sa collection entomologique. Il a également fait de longues promenades vigoureuses chaque jour pour surmonter sa «maladie cardiaque» et s'entraîner à la marche obligatoire de dix miles (16km) qu'il devait accomplir dans le cadre de l'examen médical s'il se qualifiait. Sur les quatre postes à pourvoir, trois devaient être accordés au mérite sur la base des notes du concours et un était réservé à une personne appartenant à une communauté minoritaire. Pat est arrivé cinquième au classement général, la meilleure place parmi les candidats issus des minorités. Il s'est donc automatiquement qualifié pour la quatrième place vacante, mais n'a été nommé qu'après que le colonel Sir Henry Gidney, alors leader des anglo-indiens auxquels nous appartenions, eut déjoué une tentative de la donner à un membre de la communauté musulmane qui avait eu une moins bonne note mais bénéficiait d'appuis politiques.
Il a été muté au service forestier d'Assam, poste qui l'a d'abord déçu, car il aurait voulu servir à Madras, l'ancienne province de notre père, et rester plus près de sa famille, mais cela devait s'avérer être un avantage ultime. Il a suivi une formation de deux ans au Collège Forestier, à Dehra Dun, un endroit où il avait quelques attaches familiales, car notre père avait fait sa formation de Ranger en 1898 après avoir été promu de Garde-Forester à Assistant-Ranger, et notre frère Cyril devait y aller en 1935 en tant que cadet à la nouvelle Académie Militaire Indienne. Et presque vingt-cinq ans plus tard, Pat lui-même retourna à l'Institut de Recherches Forestières lorsque le Gouvernement Indien le nomma directeur d'Education Forestière.
Tout au long de ses années en Assam, il a soutenu financièrement notre mère, devenue veuve et ses deux jeunes frères, renonçant à la possibilité d'un mariage heureux avec une jolie fille, instruite et vivante, Phyllis Dunning, qui aurait fait une épouse et une assistante idéale. Ses plus remarquables réalisations au cours des premières années de son service ont été la renaissance, avec E.P. Gee, un grand nom de la conservation de la faune sauvage, du sanctuaire de Rhinoceros de Kaziranga et la capture d'un nombre record d'éléphants sauvages lors d'une khedda dans les collines du Nagaland au cours de l'hiver 1936, une opération à laquelle j'ai assisté lors de vacances passées avec lui.
Il a ensuite passé cinq ans au Gouvernement Indien en tant que directeur d'Education Forestière à l’Institut de Recherche Forestière de Dehra Dun, chargé de la formation de nombreux jeunes officiers dans cette Institution et au Collège Forestier de Coimbatore, au sud de l'Inde. Son plus grand plaisir était d'emmener ses stagiaires à de nombreuses visites sur le terrain dans tout le pays, y compris dans les régions qu'il connaissait lorsqu'il était enfant avec nos parents. Alors qu'il était à Dehra Dun, il en a profité pour offrir au Collège les médailles remportées par notre père en Sciences Naturelles et en Ingénierie Forestière pendant sa formation dans cet établissement. Il lui a rendu un hommage émouvant dans le journal du collège avec un article intitulé "Un père forestier". Il a également fondé la Société Indienne de la Vie Sauvage, devenant son premier président. Un portrait de lui, généralement avec son chien jouant à ses côtés, est aujourd'hui accroché dans les locaux de la Société à Dehra Dun. Des années plus tard, ses stagiaires se souviennent encore de sa discipline stricte, de son approche amicale, de ses connaissances approfondies et de son enthousiasme pour la profession forestière et des innovations introduites dans le programme, notamment un cours de préservation de la faune au sujet de laquelle il a écrit un manuel qui est resté longtemps en usage officiel.
Pat a différé son mariage jusqu'à ce que notre frère Cyril termine ses cours très coûteux pendant deux ans et demi à l'Académie Militaire. Sa première femme, Ruth Beatty, était une professeur de musique qu’il a épousée en 1938. Le mariage n’a pas duré longtemps, car Ruth est rapidement partie pour l’Angleterre avec ses parents qui avaient émigré plus tôt pour la naissance de son bébé. C'était une fille qu'elle a appelée Pamela, mais trois ans après sa naissance, ils ont commis l'erreur fatale de rentrer prématurément par la mer au plus fort de la guerre, lorsque la menace des sous-marins allemands n'avait pas encore été surmontée. Elle fit escale à Rio de Janeiro d'où Ruth posta à Pat une photo de la petite fille, debout sur le pont, portant sa poupée. Ce fut la dernière chose qu'il vit d'elle, car le navire sur lequel elle voyageait fut torpillé au large de l'Afrique du Sud et la petite fille et sa mère moururent noyées. Pat ne cessa jamais de se reprocher de leur avoir permis de prendre le risque de ce voyage, et fut attiré par la suite vers toutes les petites filles qu'il rencontrait, voyant en elles la seule fille qu'il avait jamais eue et qu'il avait perdue.
Sa deuxième épouse était une veuve de guerre, une certaine Madame Lever, qu'il a rencontrée à Bangalore alors qu'elle cherchait des nouvelles de son mari porté disparu en Malaisie. C'était était médecin militaire dans le département médical indien et il s’est avéré qu’il avait été tué au combat. Leur mariage, sans enfants, était malheureux et se solda par un divorce. Pendant son séjour à Dhera Dun, Pat s'est de nouveau marié, cette fois à Peace Mammen, fille d'un prêtre Chrétien Orthodoxe de la côte ouest. Encore une fois, il n'eurent pas d'enfant, à son grand regret, car il avait un sens aigu de la famille et une grande fierté pour le nom Stracey qu'il aurait voulu voir continuer dans sa lignée. C'était aussi une grande perte pour l'avenir en général, car les qualités de Pat étaient des plus belles et méritaient d'être transmises.
Après cinq ans à Dehra Dun, il partit en visite à Rome pour les Jeux olympiques, réalisant ainsi un rêve de longue date et visitant l'Europe. À son retour, il fut affecté à Shillong en tant que Chef Conservateur des Forêts d'Assam, une situation que notre père aurait été très fier de le voir atteindre, tout comme notre mère et nous tous. Outre son travail dans le domaine forestier et la conservation de la faune sauvage, on se souvient de lui en Assam pour avoir planifié et initié la construction d’un stade à Jorhat, l’un des quartiers généraux de la province. Après sa retraite, il resta à Shillong où, n'ayant jamais eu beaucoup d'argent, il prit un poste de secrétaire du club de Shillong. Mais il ne tarda pas à déménager à Kohima en tant que premier Directeur des forêts de l’État nouvellement formé du Nagaland. Au cours de cette période, en plus de fournir de nombreux articles à des revues professionnelles traitant des forêts et de la faune, il a commencé à écrire la série de livres qu’il avait longtemps planifiée: Elephant Gold; Reade, chasseur d'éléphant; Les Cauchemars du Nagaland; un ouvrage sur les Tigres faisant autorité, un volume de la série les Animaux du Monde, et une odyssée himalayenne inachevée.
En prenant sa retraite du service gouvernemental, il a rejoint le Conseil indien de recherche en économie appliquée, à New Delhi, en tant que consultant en sylviculture. L’un de ses efforts était d’intéresser le gouvernement du Bhoutan à un projet visant à faire descendre des copeaux de bois de leurs sites himalayens par des tuyaux en polyéthylène jusqu’aux usines de fabrication de pâte à bois, au lieu de transporter des billes entières dans des camions. Ce processus aurait été moins coûteux et moins dommageable pour les routes de montagne de l'État et aurait permis de maintenir l'approvisionnement pendant neuf mois par an au lieu de trois. Malheureusement, le système n'a pas été appliqué. Son intervention énergique et bien informée à une conférence internationale à New Delhi sur la préservation de la faune sauvage a tellement impressionné le représentant éthiopien qu’il a été invité dans ce pays à organiser ses efforts sur le terrain. Il a accepté l'offre et y a passé quatre ans à planifier et à diriger la conservation des espèces en voie de disparition. Le terrain était accidenté et les routes primitives, et c'est lors d'une tournée d'inspection sur l'une d'elles que sa voiture a dérapé et s'est renversée.
Il est retourné en Inde juste avant le soulèvement politique en Éthiopie et la déposition de l’empereur par un dictateur militaire. Il s’installa dans sa ville natale de Bangalore, non par pour prendre une retraite forcée, mais pour poursuivre ses écrits et aider son frère Ralph, alors en mauvaise santé, à diriger la Stracey Memorial School. Lorsqu'on lui a dit qu'il avait un cancer du pancréas, au lieu de se résigner à son avance rapide, il a juré de manière typique qu'il le vaincrait par la volonté. Il a fait ses valises et est parti pour les jungles du Madhya Pradesh (les anciennes provinces centrales) pour étudier la symbiose des communautés tribales et de la faune. Mais la nature était trop éprouvante pour son grand esprit et il dut bientôt retourner à Bangalore où il mourut à soixante et onze ans, trop jeune pour un homme de sa nature. Peace, son épouse, lui a survécu onze ans, mourant en 1988, deux semaines avant notre frère Cyril.
Des condoléances affluèrent de partout après sa mort. Un ancien camarade d'école, Martin Pereira, l'a décrit comme un homme de caractère que tout le monde admirait. Un diplomate indien qui l'avait connu en Ethiopie écrivit: «Il était un ami proche, un homme que je respectais et aimais beaucoup. J'admirais son intellect, son courage inlassable, son honnêteté implacable. Il était un homme d'action - une boule d'énergie jusqu'à la fin ». Un autre ami a écrit: «C'était une personne qui attirait l'attention dès qu'il commençait à parler: confiant, compétent, qui s'exprimait avec autorité et parfois de façon acerbe. Il était capable de sauver un chiot sur la route ou de se battre avec un charretier qui abusait de ses boeufs. Une fois, dans un parc ornithologique, il vit un montreur d'ours faire danser l'animal sur la route. Il a fait demi tour avec sa voiture, a donné à l'homme dix roupies et lui a dit d'aller nourrir son ours correctement. Son meilleur ami et collègue de longue date, Ramabhadran, l'a décrit comme ayant un cœur d'or, mais susceptible de réagir comme un buffle blessé lorsqu'il était fâché. Parmi les honneurs posthumes et bien mérités qu'il aurait acceptés comme la meilleure et la dernière appréciation de ses services, le Conseil d'administration du WWF l'a inclus avec neuf autres environnementalistes à son tableau d'honneur. Moi qui ai beaucoup bénéficié de son sacrifice, je chérirai toujours le souvenir de sa force de caractère, de sa bonté de cœur, de sa personnalité vive et dynamique, de sa loyauté envers la famille, de ses louanges, de son enthousiasme sans bornes pour la vie.
by Eric Stracey.
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